Journaliste indépendant, le Lavallois Clément Brault et son confrère Romain Houeix publient un livre sur le mur qui sépare les États-Unis du Mexique, après avoir longé 3 000 km de frontière.
À quand remonte le début de la construction de ce mur ?
Les premières portions ont été érigées en 1994, sous Bill Clinton. George W. Bush et Barack Obama ont poursuivi le mouvement. Pour les frontaliers, la politique de Trump n’est que le prolongement d’une démarche engagée depuis 15 ans. La seule différence, c’est qu’il en a fait un show, un argument de campagne, là où ses prédécesseurs étaient plutôt discrets sur le sujet.
Votre ouvrage s’intitule L’Amexique au pied du mur. Que signifie ce terme ?
Il symbolise la spécificité de cette zone frontalière, ni tout à fait les États-Unis, ni tout à fait le Mexique. C’est le fruit d’une histoire commune qui se traduit par un métissage permanent. Aussi bien dans la langue – on passe sans arrêt de l’anglais à l’espagnol – que dans l’architecture ou la cuisine. La Californie, l’Arizona, le Nouveau-Mexique et le Texas ont appartenu au Mexique jusqu’en 1848. L’héritage hispanique y est très fort.
Comment est né ce projet de livre ?
Tout est parti d’une lecture commune avec mon collègue Romain Houeix, La Griffe du chien, un polar hyperréaliste de Don Winslow dans lequel la frontière américano-mexicaine constitue un personnage à part entière. De fil en aiguille, on a échangé sur le sujet, et lorsque Trump est arrivé au pouvoir, on a eu envie d’aller sur place pour rencontrer les gens. En suivant la frontière, comme on remonte un fleuve, et en franchissant les postes-frontières, vers le sud et vers le nord.
Qu’avez-vous trouvé sur place ?
Beaucoup d’humanité. Tandis que Trump qualifiait les Mexicains de voleurs, de violeurs, d’escaladeurs, et alors même que son discours trouvait un écho dans l’opinion publique, les habitants de cette Amexique souhaitaient, eux, réaffirmer la solidarité. Beaucoup d’Américains vont au Mexique pour aider les migrants, leur donner des vêtements, de quoi manger. Plus on s’éloigne de la frontière, plus l’idée de construire un mur trouve des partisans.
Tous ceux qui y vivent, qu’ils aient ou non voté pour Trump, disent que le mur n’a aucune utilité.
Est-ce que le mur est efficace ?
Non. Même les border-patrols nous confiaient son inefficacité. Sans agents ni caméras, il est facile à franchir. Beaucoup parviennent à passer, même si le risque demeure. Je pense au désert de Sonora, en Arizona, un secteur aussi grand que l’Italie, où les températures dépassent facilement les 40 degrés. Entre 1999 et 2018, au-moins 3 500 décès y ont été dénombrés.
Comment votre démarche a-t-elle été perçue sur place ?
Elle a beaucoup intéressé les gens. Au Texas, nous avons été accueillis de façon très bienveillante. Nous étions bien loin de l’image du Texan bourru, pistolet à la ceinture, un peu cow-boy. Une fois qu’on a gagné leur confiance, les gens sont vraiment sympas. Ça nous a réconciliés avec eux. On est tombés amoureux de ces Américains-là. Côté mexicain, on a aussi ressenti une grande hospitalité. Humainement, nous avons vécu une très belle expérience.
L’Amexique au pied du mur, enquête au cœur d’un fantasme, aux éditions Autrement, 288 pages.