Salomé Berlioux, 31 ans, a grandi dans l'Allier avant de suivre des études supérieures à Paris. Elle est directrice générale et fondatrice de l'association Chemins d'avenirs, qui veut permettre aux jeunes de territoires ruraux et de petites villes de révéler leur potentiel. En 2020, son association a accompagné 1 500 collégiens, lycéens et étudiants. Salomé Berlioux est l'auteure de deux ouvrages : Les Invisibles de la République (Robert Lafond, 2019) et Nos campagnes suspendues (l'Observatoire, 2020).
Vous venez de publier l'ouvrage Nos campagnes suspendues. Pourquoi cet ouvrage et quel est son message ?
Dans le contexte sanitaire, j'ai évoqué avec mon éditeur ce thème des campagnes, dont la pertinence m'est apparue évidente. J'ai en effet été surprise et inquiète de constater que les analyses de la crise étaient centrées sur les métropoles. Quand on en détournait les yeux pour les tourner vers la France périphérique, c'était pour parler des résidences secondaires et non des terri–
toires. On ne parlait pas des campagnes, sauf à travers la France des privilégiés. Ce qui m'a indignée, c'est la diffusion de cette idée de "revanche des campagnes" post-covid-19 par l'attractivité nouvelle des territoires ruraux. Ce concept semble surtout nous dispenser collectivement de reconnaître que ces territoires pâtissent d'un désengagement de l'État et qu'ils seront sans doute touchés fortement par la crise.
Ce livre rappelle que les jeunes des territoires ruraux étaient déjà confrontés à l'inégalité des chances avant la crise sanitaire et mesure le risque de voir le fossé se creuser dans les années à venir.
Nombre de commentaires expliquent que les atouts des territoires ruraux sont plus évidents aujourd'hui. Pourquoi êtes-vous dubitative ?
Certes, la vie urbaine montre aujourd'hui ses limites et la vie rurale affiche d'autant mieux ses atouts. Mais il ne faut pas méconnaître les carences de nos mécanismes d'aménagement du territoire. Avant la crise de la Covid-19, un sondage Ifop a établi que 57 % des Français veulent vivre plus proches de la nature, mais ces derniers identifiaient aussi parfaitement les freins à ce
projet : l'emploi, les transports, les services publics et l'accès à la culture. Dans les campagnes, ces aspects sont en effet autant de défis au quotidien. Se confiner pour deux mois à la campagne, ce n'est pas y travailler, y élever ses enfants ou encore y vieillir…
Que pouvez-vous dire sur la situation particulière des jeunes ?
L'accumulation d'obstacles dans les campagnes porte atteinte à l'égalité des chances entre les Français, sachant que les jeunes ruraux (communes de moins de 2 000 habitants et zones rurales) représentent 23 % des moins de 20 ans. maymag 32
Ce sujet est resté longtemps dans l'angle mort, oublié des politiques publiques. Il recouvre des problèmes de mobilité, de moyens
financiers, d'accès aux opportunités de stages et à la culture… Dans le contexte de crise sanitaire, ces difficultés sont croissantes. Il faut ajouter la fracture numérique. Il en a peu été question. Quant à la construction du parcours d'orientation, déjà fragile et plus subie que dans les contextes urbains, elle pâtit de la mauvaise image des grandes métropoles, du manque d'opportunités d'emplois alimentaires, liés aux secteurs les plus impactés par la Covid-19, mais aussi de l'angoisse et du manque de confiance en l'avenir. C'est une réalité plus corrosive qu'explosive. La crise pousse de nombreux jeunes à revoir leurs ambitions à la baisse.
Le constat est fait… Voyez-vous des solutions ?
Dans la crise et l'après-crise, le rôle des élus de terrain a été et sera déterminant. Leur rôle prend tout son sens. L'accompagnement de proximité qui prévaut maintenant est synonyme d'espoir. Les élus voient les réalités, impulsent des solutions, souvent soutenues par des régions et des départements. Mais il faudra aussi que l'impulsion et la réponse soient nationales. Il existe des dispositifs nationaux, mais les politiques publiques ne sont pas toujours déployées et pas toujours en
adéquation avec la réalité. Il faut en effet différencier les politiques publiques (soin, transport, éducation,
logement, culture…) sur un "axe ruralité" qui soit différent de l'"axe ville". Ce qui change, pour la question de jeunes des
territoires ruraux, c'est que la prise de conscience est réelle. Elle doit maintenant être assortie de mesures.
Quelles solutions concrètes préconisez-vous ?
Parmi les 25 préconisations du rapport que j'ai rendu à M. Blanquer*, je privilégierais la création de territoires éducatifs ruraux, sur le modèle des cités éducatives, véritables écosystèmes à l'échelle d'un secteur localisé, qui mettent en réseau tous les acteurs susceptibles de co-construire un système au profit des jeunes. Je défends aussi le programme "Découvre mon territoire", système d'échange et de correspondance entre villes et campagnes, qui favorise une vraie cohésion nationale et la découverte mutuelle de nouveaux bassins d'emploi.
La crise sanitaire portera-t-elle le coup de grâce ?
Au gré de mes rencontres, j'ai constaté que les campagnes vivent la crise comme tous les territoires. En premier lieu avec l'impact direct du virus : des malades et des morts. Mais c'est aussi une crise dans la crise, avec des problèmes structurels qui s'accentuent. La fermeture des petits commerces en est l'illustration parfaite. La crainte est présente, même si la volonté est intacte, car les territoires ruraux ont su montrer aussi leur résilience, leur capacité à réagir, à prendre des initiatives, à se
montrer unis et solidaires. L'ancrage géographique et l'identification au territoire y sont plus forts qu'ailleurs.
Pour rien au monde, ils ne voudraient vivre ailleurs. Mais ils appellent de leurs voeux un meilleur accès aux services, à l'emploi, aux soins, aux transports, au savoir et à la culture…
*Mission orientation et égalité des chances dans la France des zones rurales et des petites villes