Retour
Décodeur
08/06/2022

Catherine Subra « Le bien-être en Ehpad, c'est d'abord du temps ! »

  • Partagez  'Catherine Subra « Le bien-être en Ehpad, c'est d'abord du temps ! »' sur Facebook
  • Partagez 'Catherine Subra « Le bien-être en Ehpad, c'est d'abord du temps ! »' sur Twitter
  • Partagez 'Catherine Subra « Le bien-être en Ehpad, c'est d'abord du temps ! »' sur LinkedIn

Alors que l'affaire Orpea défraie la chronique, un rééquilibrage s'impose pour mettre en valeur les très nombreux établissements pour personnes âgées dépendantes où la dignité de l'être humain est primordiale ! La directrice de l'Ehpad de La Providence, à Mayenne, analyse la situation avec humilité et recul, attentive à la complexité des situations mêlant l’accueil et le soin.

 

« Soignant, ce n'est pas une profession, c'est une vocation » (un résident)

 

Pouvons-nous faire connaissance avec votre établissement ?
Il a été créé en 1865 par les sœurs de La Providence. Depuis 2018, il est lié à l'association Monsieur Vincent* impliquée dans la gestion d'une vingtaine d'établissements en France. Nous accueillons, en plein centre-ville de Mayenne, en bordure de rivière, 108 résidents dont 12 en unité spécialisée (troubles cognitifs). J'ai pris début 2021 la direction de cet établissement qui compte 70 salariés et une quarantaine de bénévoles (issus des Amis de La Providence).

 

Comment est vécue l'affaire Orpea ?
Les résidents ne sont pas inquiets. Pour eux, c'est une affaire parisienne, sans lien avec leur quotidien. C'est assez surprenant. Les familles, qui nous posent habituellement beaucoup de questions, n'en posent pas plus que d'habitude. En revanche, elles nous envoient des messages de soutien et sont heureuses, vu le contexte, de pouvoir s'appuyer sur toute l'équipe.

 

Et pour vos salariés, est-ce plus délicat ?

Forcément, ils sont affectés par l'image négative renvoyée par cette affaire. Les retombées médiatiques, les enquêtes et reportages ne véhiculent pas une bonne image du métier. Mais ils ne s'arrêtent pas à ça. Cette affaire nous amène à nous interroger davantage. Il faut être honnête, dans ce secteur dominé par l'humain et la fragilité, il nous arrive à tous de faire des erreurs. L'affaire Orpea agite les consciences personnelles et professionnelles. Faisons- nous toujours bien ? Comment pouvons-nous faire mieux ? Cette réflexion était déjà réelle, elle n'en est que plus forte. C'est positif car notre vigilance ne peut faiblir. Nous pouvons et devons toujours nous ajuster.

 

Comment assurer le bien-être de vos résidents ?

Le bien-être, c'est du temps consacré à la relation. Car chaque résident diffère par son état, sa personnalité et ses besoins propres. Nous évoluons quotidiennement dans la complexité humaine. Il nous faut donc du temps, ce bien précieux qui fait défaut à tous, pour déployer la patience et l'attention nécessaires à chacun. Sans cette attention première, l'énergie engagée pour l'organisation des soins, de la vie quotidienne et des activités est mal ciblée. Pour éviter cet écueil, à La Providence, tous les aspects de la vie sont intégrés. La cuisine, le linge et l'entretien sont assurés par des salariés de la structure qui exercent leur profession au contact des résidents et non dans une unité technique détachée de la réalité vivante de la structure. C'est tout le personnel qui participe aux soins, au sens large. Pour moi, c'est fondamental.
 

Comment permettre aux soignants de moins « courir », au bénéfice des résidents ? 

Évidemment, les ressources financières sont trop justes. Elles sont majoritairement allouées aux besoins directs des résidents. Nous en manquons pour recruter. Comme nous n'allons pas attendre que l'argent tombe du ciel, nous activons d'autres leviers tels que l'organisation du travail, avec des temps de présence des salariés par tranches de 12 heures, pour limiter les transmissions et améliorer la qualité du service ; par un bénévolat fort (70 personnes engagées) pour soulager les salariés en complétant leur action et en assurant une partie des visites individuelles par nature chronophages et énergivores. Au-delà de ces idées pratiques, la direction doit surtout être bienveillante et à l'écoute des salariés, pour qu'ils puissent l'être à leur tour à l'égard des résidents. Et ne pas leur asséner des exigences de soins sans leur donner les moyens matériels ou la formation adéquate... sinon, l'échec est double, c'est frustrant pour le résident et minant pour le salarié. Et pour les résidents, quelles sont les conditions quotidiennes du bien-être ? Moins nous courons, mieux nous écoutons et mieux nous écoutons, mieux nous accompagnons. C'est vrai pour les soins, pour la cuisine, pour les aspects pratiques de la vie et pour les activités de détente. Cette présence et cette inventivité doivent être transcendées par le respect de la dignité de chaque résident, qui ne se définit pas par sa vieillesse et ses handicaps. Ce sont les fruits du temps et de l'attention, liés à cette certitude que nous n'accueillons pas des êtres diminués, qui nous permettent de déceler des capacités et des talents qui restent souvent insoupçonnés. Cela peut changer leur vie quotidienne !
 

Avez-vous un exemple en tête?

Je pense à cette dame en fauteuil coquille, qui ne pouvait apparemment plus rien faire. Mais à l'occasion d'une activité de gym dite « autour de la table » pour stimuler les sens et les mouvements, nous nous sommes aperçus qu’elle possédait une certaine dextérité au bout de ses doigts. Nous avons découvert qu'elle pouvait écrire. Elle a commencé à correspondre avec sa famille. Nous avons ensuite découvert qu'elle avait été pianiste. Nous l'avons remise devant un piano, dont elle pouvait encore se servir avec un plaisir non dissimulé. Son quotidien a changé !
 

Avez-vous déjà connu un contrôle de structure à la Providence ?

Étant arrivée en début d'année 2021, je n'ai pas eu à m'y soumettre, ce qui ne poserait d'ailleurs aucun problème, ni sur la forme, ni sur le fond. Mais en définitive, d'une autre manière plus indirecte, nous sommes contrôlés tous les jours par les résidents et par les familles. Nous comptabilisons près de 1 500 visites par mois. Rien ne passe inaperçu. Ici, les familles sont très proches de leurs parents et cela compte beaucoup. Elles sont ainsi, pour leur part, garantes du bien-être de leurs proches et nous aident ainsi à maintenir notre niveau d'exigence.

 

Catherine Subra dirige l'Ehpad de La Providence à Mayenne.
Type éditorial