Directrice de recherche au CNRS, la Mayennaise Ghislaine Dehaene-Lambertz* étudie le développement des fonctions cognitives de l’enfant
À la tête d’une équipe de neuro-imagerie du développement, intégrée au centre de recherche NeuroSpin du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Paris-Saclay, Ghislaine Dehaene-Lambertz est l’une des grandes spécialistes internationales du sujet. Pédiatre de formation, elle a d’abord exercé comme interne et chef de clinique en néonatalogie et neuropédiatrie. Puis elle s’est rapidement intéressée au développement des fonctions cognitives du tout-petit. Avec une foule de questions vertigineuses, mais tellement passionnantes : comment un enfant apprend-il à parler ? Comment reconnaît-il ses parents ? Comment est-il conscient de son environnement ?
Alors quand, au milieu des années 1980, la professeure Dehaene-Lambertz, inspirée par les travaux du psychologue Jacques Mehler, père de la science cognitive, s’intéresse au cerveau du bébé, elle sait que s’ouvre devant elle une vaste exploration. Les premières révélations ne tardent pas. « Grâce aux progrès techniques comme l'électroencéphalographie ou l’IRM, nous avons pu observer à quel point le cerveau d’un bébé est structuré. Dès la fin de la grossesse, on relève une organisation hiérarchisée et compartimentée du cerveau qui favorise les capacités cognitives complexes de l’espèce humaine, et en particulier le langage. Il existe des réseaux pour reconnaître le langage (les phonèmes et les syllabes sont identifiés), les objets, les voix, les visages… Toute cette organisation cérébrale initiale du bébé lui permet, une fois adulte, de développer une trajectoire cognitive riche et complexe », précise-t-elle. Comprendre les clés de l’apprentissage du langage et de la pensée symbolique est indispensable pour répondre aux pathologies du développement cognitif.
Plus étonnant encore est cet exemple, qui montre à quel point les premières années de la vie sont cruciales : « Sachez que l’infarctus d’une personne âgée de 50 à 60 ans est davantage relié à ses toutes premières années qu’au mode de vie qu’elle aura eu à l’âge adulte (alimentation, addictions). Bien sûr, ne pas fumer, limiter sa consommation d’alcool et manger sainement demeurent des impératifs à suivre ! Cependant, cet exemple saisissant traduit bien ce qui se joue de la naissance aux trois premières années de la vie », indique Ghislaine Dehaene-Lambertz.
Besoin d’interactions
Cependant, le cerveau de bébé ne peut pas compter que sur lui-même. Il a un grand besoin de se nourrir d’interactions avec le monde qui l’entoure, ses parents, ses frères et sœurs : « Les relations entre les parents et leur bébé sont primordiales. Il faut jouer avec nos enfants, leur lire des histoires, leur parler. Si le monde est confus autour de vous, il le sera pour l’enfant. Le bébé est une personne à part entière ! », martèle la professeure Dehaene-Lambertz. Et quid des écrans ? « Ah, je savais que vous alliez aborder le sujet ! Pas d’écran bien sûr pour les bébés, mais pas d’écran non plus pour les parents devant leur bébé. En procédant de la sorte, le parent crée de la privation sensorielle chez l’enfant, plus personne n’échange avec lui et cette attitude répétée retardera son développement cognitif. » Évidemment tout n’est pas acquis sur le plan cognitif au terme des mille premiers jours d’existence. L’enfant qui grandit a besoin d’être constamment stimulé. La professeure Dehaene-Lambertz étudie également le cerveau des enfants à l’entrée à l’école primaire, où la lecture doit s’insérer dans une architecture cérébrale organisée et en tirer profit pour amplifier les capacités cognitives humaines. Surviennent ensuite l’adolescence et tous ses chamboulements… Bref, nos cerveaux ont encore beaucoup de secrets à dévoiler.
* Après avoir suivi sa scolarité en Mayenne jusqu’au lycée, Ghislaine Dehaene-Lambertz a rejoint la facultéde médecine de Tours, puis a réalisé son internat à Angers avant de rejoindre Paris. Elle a reçu denombreux prix nationaux et internationaux comme le prix Justine et Yves Sergent (Canada) en 2013 et le Grand Prix Scientifique de la Fondation de France en2015, ainsi que la médaille d’argent du CNRS en 2018. Le nom de Lambertz est connu du monde hippique, précisément celui des trotteurs : « Une partie de ma famille exerce dans ce milieu », précise l’intéressée. Ghislaine Dehaene-Lambertz et son mari, Stanislas Dehaene, ont en commun de travailler sur des sujets peu éloignés. Si elle explore les fabuleuses facultés du cerveau des tout-petits, lui étudie plus particulièrement le cerveau des adultes, cherchant à percer les mystères de son fonctionnement. Ils mènent chacun leurs recherches au sein du centre de recherche en imagerie cérébrale NeuroSpin.
Commission des « 1000 premiers jours »
Ses travaux et son expérience l’ont conduite à participer à la commission « 1000 premiers jours », lancée par le président de la République Emmanuel Macron en septembre 2019 et présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Cette commission a regroupé 18 experts de spécialités différentes. Parmi les premières réalisations ayant découlé des travaux de cette commission, on peut citer l’allongement du congé paternité, une meilleure prise en compte de la dépression post-partum ou encore la mise en ligne d’un site internet (1000-premiers-jours.fr), un site de référence disposant d’informations vérifiées et actualisées.