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10/07/2024

« Magic Peslier » raccroche les bottes

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Discrètement, sur l’hippodrome de La Teste-de-Buch en Gironde fin avril, l’un des plus grands jockeys français a tiré sa révérence. Une haie d’honneur formée par ses adversaires l’a conduit vers sa dernière monte. L’instant était solennel, l’émotion intense et les yeux humides dans l’assistance. Le jockey mayennais Olivier Peslier a pris sa retraite après
35 ans de succès et de gloire. À l’annonce de cette nouvelle, la presse spécialisée et tous ceux qui l’ont côtoyé (éleveurs, propriétaires, entraîneurs) ont rivalisé de formules dithyrambiques à son égard, saluant une élégance rare, un génie des pistes et une grande humilité malgré son statut d’icône.

 

 

 

« J’avais très envie de mettre un stop pour éviter de repousser sans cesse l’échéance dans l’attente d’avoir un champion dans les mains. »
 

Cela fait plusieurs semaines que vous avez arrêté la compétition. L’émotion est-elle digérée ?

Oui, c’est vrai, l’émotion était grande parce qu’il y avait beaucoup de collègues autour de moi, ceux de ma génération, d’autres un peu plus jeunes et surtout la nouvelle génération. Ma deuxième famille était présente en quelque sorte, celle avec qui on fête les victoires et l’on traverse les défaites depuis des années : jockeys, journalistes spécialisés, propriétaires, amis et ces passionnés de cheval qui vous suivent.:

Vous avez décidé d’arrêter en cours de saison. Avez-vous précipité les événements ?

Je ne voulais pas de date butoir, ni de chiffre butoir comme un objectif à atteindre, à savoir les 3 000 victoires me concernant. Voilà, je m’arrête à 2 995 succès sur le sol français et c’est parfait. Je le sentais bien. Cela faisait plusieurs années que je m’étais préparé à ce jour. C’est vrai que j’aurais préféré arrêter sur ma dernière pouliche dans le Groupe 1, mais c’est comme ça ! En fait, j’avais très envie de mettre un stop pour éviter de repousser sans cesse l’échéance dans l’attente d’avoir un champion dans les mains. Je crois que je ne voulais pas faire la course de trop.

Vous avez également évoqué vos difficultés face au poids ?

Oui, c’était devenu très difficile ces derniers temps. Quand vous vous levez le matin et que vous devez perdre deux kilos… Alors vous courez 10 km pour perdre seulement 500 grammes… Vous enchaînez avec le sauna et vous ne perdez rien. Bref, ça devenait très compliqué. Je ne voulais pas mettre ma santé en danger.

Le président de France Galop, Guillaume de Saint-Seine, dit que vous avez été un incroyable ambassadeur du savoir-faire des jockeys français et que vous avez ouvert la voie à leur rayonnement à l’international. Avant vous, ce n’était pas le cas ?

C’était une époque différente. Avant, les grands jockeys comme Yves Saint-Martin se déplaçaient moins, et ils montaient moins également. Puis, par la suite, beaucoup de jockeys anglais ont couru en France tandis que, dans le même temps, les Français ne s’exportaient pas. J’ai eu envie de faire comme ces jockeys anglais, de voyager, d’apprendre et de découvrir d’autres hippodromes, d’autres cultures. Les bons résultats aidant, j’ai gagné ma place et je me suis fait connaître hors des frontières françaises. Les sollicitations de l’étranger ont ensuite afflué.

« Au Japon, les gens m’arrêtaient dans la rue pour signer des autographes et faire des selfies. »
 

Parmi vos expériences à l’étranger, il y a le Japon où vous êtes perçu comme une véritable star. Vous êtes probablement le Mayennais le plus connu de l’archipel nippon !

Je ne sais pas si je suis le Mayennais le plus connu, mais ce que je sais, c’est qu’au Japon les gens m’arrêtaient dans la rue pour signer des autographes et faire des selfies. Au soir d’une victoire à la Japan Cup, j’ai passé plus de deux heures à signer. Et, dans le métro qui nous emmenait à notre hôtel, j’ai continué à signer ! C’était de la folie. Au Japon, je suis considéré par les Japonais comme le sont les footballeurs de l’équipe de France ici !

Revenons à votre découverte du monde du cheval. Tout commence en Mayenne ?

Oui, j’ai commencé à fréquenter le poneydrome d’Ahuillé, tout près de Cossé-le-Vivien d’où je suis originaire. Avec des copains, on promenait les poneys la journée et on nous donnait la pièce pour nous remercier de nous en être occupés. Dans les grandes journées, on gagnait jusqu’à 5 francs ! Et puis, un jour, un de mes copains a proposé qu’on essaie à notre tour de monter sur les poneys. Il avait un plan ! J’avais 10 ans, j’ai essayé et ça ne m’a plus lâché. D’emblée, j’ai pris du plaisir à monter. L’adrénaline procurée par la vitesse m’a emballé, tout comme la relation à l’animal.

Une passion qui vous dévore, alors que votre famille n’est pas issue du monde du cheval ?

Étant enfant, je n’ai pas baigné dans le milieu des chevaux, si ce n’est pour aller aux courses comme spectateur. Dans ma famille, on faisait plutôt dans la marbrerie et le monument funéraire puisque mon arrière-grand-père, mon grand-père et mes parents ont exercé cette activité.

 

Racontez-nous vos débuts.

Je ne savais pas comment devenir jockey. C’est Patrice Lemaire qui, un jour, lors des courses de Craon, a conseillé à mon père de me faire entrer à l’école des lads et des jockeys Le Moulin à vent à Chantilly. J’y ai posé mes valises à l’âge de 14 ans, comme interne. Par la suite, j’ai disputé ma première course officielle le 5 mars 1989 à Rouen, à l’âge de 16 ans. J’ai terminé deuxième. J’ai enchaîné dans la journée avec une seconde course que j’ai gagnée ! Je me souviens encore du nom du cheval.

Quel est votre plus beau souvenir en course ?

Incontestablement, l’Arc de triomphe en 1997, avec Peintre célèbre. Parce que l’Arc de triomphe est l’une des plus belles courses au monde, et puis il y avait beaucoup d’attente autour de moi car j’honorais mon premier contrat de première monte pour le propriétaire Daniel Wildenstein, avec qui j’avais signé à l’âge de 20 ans. Il me considérait comme son fils et cette victoire comptait beaucoup pour lui et son écurie.

Et votre plus beau souvenir en dehors de la compétition, ce sont des rencontres ?

Oui, bien sûr, j’ai fait de belles rencontres, mais les naissances de mes cinq filles restent mes plus beaux souvenirs. Quand, pour la première fois, on vous met dans les bras votre enfant qui vient de naître, ça vous fait quelque chose. On peut avoir rencontré des gens formidables, vécu les plus beaux succès, la naissance d’un enfant reste plus forte que tout.

Je reviens aux rencontres parce que parmi elles figurent, et à plusieurs reprises, celles avec la reine d’Angleterre Élisabeth II !

Oui, effectivement, j’ai pu la rencontrer à plusieurs reprises. C’était une personne férue de chevaux et de compétitions hippiques. Elle était présente lors de ma victoire au Derby d’Epsom en Angleterre et m’a félicité. Elle me disait : « Vous avez vu ce cheval, c’est un crack ! Et celui-là vous le connaissez ? » Elle savait de quoi elle parlait. Je garde également en mémoire ma rencontre avec l’acteur Omar Sharif lors de dîners. Il nous racontait sa passion pour le cheval et toutes ses histoires lors des tournages de films, si bien qu’on avait tous l’impression de voir le film en direct. C’étaient des moments magiques et irréels. J’ai rencontré aussi beaucoup de présidents ! J’aurais de quoi écrire un livre sur toutes ces rencontres !

Quel cheval vous a le plus marqué dans votre carrière ?

Goldikova ! Pour son palmarès bien sûr, mais également pour sa longévité exceptionnelle au plus haut niveau. Ce pur-sang a gagné en France, aux États-Unis et en Angleterre. Et c’est toute l’émotion qu’elle m’a procurée à chacune de ses 14 victoires en Groupe 1.

On a dit que vous étiez un jockey intuitif, avec des montes inspirées. Qu’est-ce que cela signifie précisément ?

Que je prenais systématiquement l’initiative et que je décidais de quelle façon piloter le cheval, même si on me disait « fais attention, ce cheval réagit comme ça ou il court de cette manière ». Je prenais les décisions et pas le cheval. Je pilotais comme je l’entendais.

Quel est votre secret pour avoir pu rester à haut niveau pendant 35 ans ?

Beaucoup de sacrifices, beaucoup de travail, peu de vacances, peu de week-ends. Le métier de jockey vous « bouffe » littéralement. J’ai eu une hygiène de vie correcte, notamment concernant le poids et l’entretien physique. Ma personnalité m’a également aidé à profiter de toutes ces années, sans jamais être lassé. J’ai toujours apprécié l’ambiance sur les hippodromes, discuter avec les amoureux de notre discipline, qu’ils soient de grands propriétaires ou de simples spectateurs. J’aime ce milieu.

Vous habitez désormais à proximité de Bayonne. Revenez-vous régulièrement en Mayenne ?

Oui, et, désormais, ce sera plus facile avec un agenda allégé ! J’ai toujours plaisir à revenir dans ce département. D’une part, j’y ai de la famille, d’autre part, je n’oublie pas que c’est ici que tout a commencé pour moi. Les racines sont importantes.

Avez-vous ce sentiment que le grand public mayennais ne vous reconnaît pas à la hauteur de votre immense palmarès et de l’empreinte que vous laisserez dans l’histoire de votre discipline ?

J’ai quitté la Mayenne jeune pour accomplir une carrière internationale. Cette distance avec la Mayenne a sans doute contribué à moins bien m’identifier localement. De plus, en Mayenne et plus généralement dans l’Ouest, le trot est sans doute mieux reconnu par le grand public, qui connaît les cracks et les drivers qui les pilotent. J’étais, à une époque, sans doute plus connu au Japon, en Angleterre et même aux États-Unis qu’en Mayenne.

Qu’allez-vous faire maintenant ?

Eh bien là, au moment où je vous parle, j’arrive au haras de Maury, près de Toulouse. Je vais aller voir comment vont les poulains, les chevaux. Je monte aussi souvent que possible à l’entraînement. Pour le moment, je temporise concernant la suite et les projets plus engageants. Mais, plus tard, j’aimerais faire un peu d’élevage, m’occuper de mes chevaux.

 

Un crack s’en va

Il faudrait des jours et des nuits entières pour énumérer le palmarès du jockey mayennais Olivier Peslier. Né à Château-Gontier-sur-Mayenne, en janvier 1973, le Mayennais a couru les plus grandes courses de plat, qu’il a toutes remportées au moins une fois, à l’exception du Prix de Diane : 4 prix de l’Arc de triomphe dont 3 années de suite, 1 derby d’Epsom, 1 prix du Jockey-Club, 2 Japan Cup, 3 Arima Kinen, 3 Breeder’s Cup Mile, 1 derby d’Irlande... Durant sa longue carrière, il a porté quelques-unes des casaques les plus prestigieuses des courses hippiques. En effet, il a été lié par contrat avec la famille Wildenstein, puis avec la casaque Wertheimer et Frère.
Selon France Galop, il compte en France 2 995 victoires dont 94 victoires en Groupe 1 (les plus grandes courses du monde). Il a été honoré de 4 Cravaches d’or (1996, 1997, 1999 et 2000), 3 Cravaches d’argent (1994, 1995 et 2001) et 3 Cravaches de bronze (1993, 1998 et 2004), un prix qui récompense le meilleur jockey de l’année. Il n’avait que 23 ans quand il a glané son premier succès dans le prix de l’Arc de triomphe. Si l’on considère ses performances à l’étranger, le seuil des 3 700 victoires est dépassé, dont 165 en groupe 1.

 

Type éditorial