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15/10/2019

Rouge, verte, bleue : l’économie change de couleur

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Gunter Pauli, c'est lui qui a théorisé le principe de « l'économie bleue ». Il est surnommé le « Steve Jobs du développement durable », et c'est à ce titre qu'il était invité en juin dernier à Echologia. Il nous a accordé un entretien ... disruptif !

Gunter Pauli, multi-entrepreneur et fondateur du réseau ZERI (Zero Emission Research and Initiative), a théorisé le principe de « l’économie bleue » dans un livre paru en 2010 et récemment réédité sous le titre L’Économie bleue 3.0. Surnommé le « Steve Jobs du développement durable », cet économiste belge de 63 ans, de passage à Echologia au début de l’été, en compagnie du spationaute Thomas Pesquet, a exposé une vision économique disruptive.

Pourquoi avoir répondu favorablement à l’invitation d’Echologia ?

Pour une seule et unique raison : la présence d’enfants et la possibilité d’échanger avec eux. C’est aux jeunes que je veux m’adresser en priorité, car j’ai compris que c’était le moyen le plus efficace pour passer des messages, qui seront par la suite répercutés aux parents. Je sais de quoi je parle, j’ai six enfants ! Je dois compter plus d’une centaine de photos en compagnie de chefs d’États et décideurs, et mes 40 années d’expérience m’incitent à penser finalement que peu de résultats ou d’engagements ont été tenus. J’ai participé aux premières COP sur le climat (1, 2, 3…). J’étais enthousiaste. Mais force est de constater que rien n’a vraiment changé. Après 25 ans de théâtre politique, je ne crois plus à ces concertations globales. Il reste cependant les entrepreneurs, ceux qui ont le désir du bien commun, pas ceux qui rêvent de devenir des « licornes » en Californie. Ça me prend 3 minutes pour inspirer des jeunes. Inspirer, voilà je crois ce qui est la clé du futur.

Vous êtes économiste de formation. Comment vous êtes-vous intéressé à l’écologie ?

Peu après sa publication en 1972, j’ai lu Halte à la croissance ?, sur les conseils d’un de mes professeurs d’économie. Cet ouvrage, parrainé par le Club de Rome et réalisé par des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology), pointait alors les dangers du modèle économique d’après-guerre (Trente Glorieuses) et fondait les bases du concept que l’on retrouve aujourd’hui sous les traits du développement durable. Plus tard, à la fin des années 70, j’ai rencontré le président et fondateur du Club de Rome, Aurelio Peccei, alors président de Fiat en Italie, un industriel avec les deux pieds bien ancrés dans l’industrie. Mais cet homme, qui est devenu mon mentor, avait aussi une réelle et grande préoccupation pour l’environnement et le social. Et puis enfin, je fus l’éditeur d’un livre intitulé L’état de la planète, publié chaque année par le Worldwatch Institute. À chaque fois, les conclusions étaient les mêmes : demain c’est la crise ! Je n’avais plus envie de cautionner ces analyses et j’ai pensé qu’il y avait un autre modèle à inventer.

Ainsi, vous vous êtes engagé vers l’économie verte avec un premier projet, Ecover.

Effectivement, au début des années 90, j’ai lancé la fabrication de détergents biodégradables avec l’entreprise Ecover. Cependant, j’y ai vite ressenti une frustration. Nous étions bio mais pas durables. Je détruisais les forêts tropicales humides par la culture intensive du palmier à huile et en même temps l’habitat des orangs-outangs. Et puis surtout, l’économie verte révèle une faille d’ampleur : tout ce qui est bon pour vous et pour la nature est forcément plus cher ! C’est une économie pour les riches, accessible seulement par 1 % de la planète… 
En économie, ce n’est pas le prix qui importe, mais la valeur ajoutée. À la place du modèle économique classique (économie rouge) où le moins cher domine et celui de l’économie verte, peu accessible aux consommateurs, une troisième voie était à imaginer, un modèle où la valeur ajoutée développe de façon circulaire l’économie locale. Et quand cette valeur ajoutée circule dans une économie de proximité, des effets multiplicateurs se produisent. Il ne faut jamais perdre de vue que l’on crée beaucoup plus d’impact et de richesse avec 50 petites entreprises implantées sur un territoire défini et qui évoluent dans un écosystème local, qu’avec une grande base logistique qui, si elle crée des centaines d’emplois d’un coup d’un seul, génère en réalité peu de valeur ajoutée pour le territoire sur lequel elle vit, les salaires étant souvent plus bas.

Vous avez donc théorisé le concept d’économie bleue ?

Le seul être sur terre capable de produire des déchets, c’est l’Homme. Il faut simplement suivre la sagesse des écosystèmes. L’économie bleue s’inscrit dans le prolongement de l’économie verte et s’inspire des bonnes idées de la nature. Le principe est simple : chaque déchet d’une activité est pensé pour devenir soit une source d’énergie, soit une matière première ou un nutriment au service d’une autre activité. Cette économie de l’optimisation et non de la maximisation fait interagir en proximité des composants entre eux afin de créer nourriture, habitat, emplois, énergie et revenus… 
C’est une économie inclusive, non polluante et circulaire, inspirée par la nature. Je donne souvent cet exemple de la mise en culture du mycélium dans le marc de café qui, mélangé à de la paille, offre un substrat propice à la pousse de champignons comestibles et vendables. Ici, à Echologia, nous avons aussi un bel exemple de cette économie bleue avec les cultures aquaponiques. Aujourd’hui, l’économie bleue, ce sont 3 millions d’emplois créés et 5 milliards € investis partout dans le monde.

Quel futur est devant nous ?

Le débat du futur, ce n’est pas comment faire pour moins polluer, mais comment ne plus polluer, ce n’est pas comment faire pour préserver ou conserver, mais comment faire pour régénérer. Et enfin qu’on arrête de déclarer la fin du monde en mettant en pratique des concepts simples et réalisables, pour un monde meilleur.

Type éditorial