À l’issue d'une année 2023 en demi-teinte, Stéphane Guioullier dresse un bilan lucide des grandes questions qui agitent le secteur agricole mayennais.
« On sent beaucoup d’attentes et de grandes questions. 2024 va être une année test. »
Quel bilan tirez-vous de 2023 ?
Nous avons vécu une année 2023 particulière, d’abord marquée par des rendements et des niveaux de prix corrects, puis rendue compliquée par une météo très capricieuse : fin de moisson chaotique en Nord Mayenne, tempête Ciaran, pluviométrie exceptionnelle et retards de semis. À l’est du département, seuls 50 % de la surface consacrée au blé était semée début décembre. Entre les semis précoces engorgés, les semis tardifs et les impossibilités de semer, l’incertitude règne sur le niveau de rendement escompté en fin de cycle. Néanmoins, il faut redire que la météo fait partie du métier et que le semis de décembre reste un scénario connu. Nous sortons de deux bonnes années. Dans la majorité des cas, les trésoreries sont plutôt saines, malgré la hausse des coûts de production.
L’agriculture bio est-elle en situation plus délicate ?
C’est le cas. En 2023, les principes de la montée en gamme, du passage au bio et aux labels ont marqué le pas. La demande en grande surface a chuté et la vente directe est plus compliquée. L’inflation est là et la réalité des porte-monnaies parle d’elle-même. Cela nous rappelle que nous sommes producteurs, toujours confrontés au défi de vendre nos produits. Pour cela, il faut répondre au marché... Et le marché évolue sans cesse. Cette « volatilité », le monde agricole n’y est malheureusement pas étranger. Pour l’heure, nous devons soutenir les filières en difficulté. Dans le cas du bio, une part importante est déclassée sur le circuit conventionnel qui, heureusement, est porteur ; mais il sera capital que le marché reprenne des couleurs. La restauration collective peut jouer un rôle.
« On ne va pas revenir à l’époque où les plans de bâtiments étaient dessinés sur du papier millimétré, mais il faut éviter l’excès inverse. »
Comment se profile 2024 pour les entreprises agricoles ?
On sent beaucoup d’attentes et de grandes questions. 2024 va être une année test. Les cours des matières premières baissent, mais les charges vont-elles baisser dans une proportion comparable ? Il est très probable que non. Les mécanismes de l’inflation sont toujours identiques : les prix ne retrouvent jamais leur niveau initial. Les charges de production resteront élevées, les charges de structure ont aussi augmenté (réglementation, bien- être animal, etc.), sans compter les charges salariales... Il faut espérer que nos prix de vente ne retrouvent pas les niveaux d’avant l’inflation. C’est donc l’année de tous les dangers.
Les complexités administratives cristallisent des craintes pour l’avenir. Les comprenez-vous ?
La gestion administrative agricole est un point-clé. Quand nous réunissons les jeunes agriculteurs, la remarque est systématique : « Je n’aime pas les aspects administratifs ». Les jeunes s’installent par amour de la nature et se retrouvent coincés devant un ordinateur. C’est une astreinte de plus. Et quand la réalité se complique, avant d’aller dans leurs champs chercher des solutions, ils doivent demander dérogation sur dérogation. Le réglementaire a pris trop de place et exerce une véritable pression face au risque d’avertissement, de pénalité... Dans le domaine de la PAC, la conditionnalité des aides a transformé l’espace de déclaration en catalogue indigeste. De façon ironique, faut-il remplacer les agronomes par des juristes ? Le métier se dénature et c’est d’ailleurs une tendance générale (artisans, industriels) à laquelle personne n’échappe.
On ne va pas revenir à l’époque où les plans de bâtiments étaient dessinés sur du papier millimétré, mais il faut éviter l’excès inverse. Entre le millefeuille national et les réglementations européennes, le choc de simplification ne semble pas d’actualité. Par la force des choses, nous entrons dans ce formalisme, même s’il nous agace. Du coup, la tendance est à l’accompagnement. Par exemple, la proportion d’agriculteurs qui remplissent seuls leur déclaration PAC diminue. Chacun veut être accompagné pour éviter les pièges, ne pas cocher la case en trop, synonyme d’erreur et de préjudice opérationnel et financier.
Dans ce contexte général, les jeunes générations mayennaises seront-elles au rendez-vous pour les projets de reprise ?
Nous ne pouvons nier le phénomène d’érosion. Les structures sont plus difficiles à reprendre. Il faut plus de capitaux, plus de main-d’œuvre. Un autre paysage agricole se dessine, où le numérique, les projets de diversification mais aussi les prestataires prennent plus de place. La tendance est à l’agrandissement, le maillage territorial est moins dense, mais il est aussi moins stéréotypé. Il n’y a plus vraiment de schéma officiel. Chaque agriculteur doit tracer sa voie. Plus qu’hier, la diversité des projets dénote une quête de sens. C’est un point positif. En Mayenne, on compte une centaine d’installations aidées par an, avec des profils classiques et d’autres plus atypiques. C’est un double défi et nous sommes très mobilisés sur ces sujets. Dans les deux cas, les jeunes générations sont sans complexes. Elles prennent des exemples plus lointains et sortent des sentiers battus. Tout est moins prévisible. Où en sera-t-on dans 20 ans ? Bien malin qui pourra le dire... (ndlr : le 12 janvier dernier était proposé au Conseil départemental, un échange ouvert sur la thématique « Installation et élevage »).